Chaque année, environ 8 000 enfants naissent avec une forme d'autisme, soit un enfant sur cent. Et 650 000 personnes seraient touchées par des troubles du spectre autistique (TSA) en France. Seulement 20 % de ces enfants seraient scolarisés et 77 % d'entre eux n'auraient pas accès à un diagnostic précoce et à l'accompagnement adapté, une situation déjà dénoncée par le Conseil de l'Europe. Pis, d'après une enquête réalisée en 2014 par le collectif autisme, près de 44 % des personnes autistes ont été confrontées à des mauvais traitements ou des carences en matière de soins.
La Journée mondiale de sensibilisation à ces troubles du développement est donc l'occasion, pour de nombreuses familles, d'exprimer leur colère. Une dizaine ont décidé d'attaquer l'État pour demander réparation de leurs préjudices et... faire bouger les lignes. Leur avocate, Me Sophie Janois, spécialisée dans la défense des personnes autistes, répond aux questions du Point.fr.
Le Point.fr : Quel est l'objectif du recours déposé par dix familles contre l'État en cette Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme ?
Sophie Janois : Obtenir une indemnisation pour défaut de prise en charge adaptée de leur enfant autiste et, à travers cela, dénoncer le fait que, en dépit des droits spécifiques qui leur sont garantis, les personnes autistes sont constamment confrontées à leur non-respect, ce qui entraîne des situations catastrophiques, voire indignes de notre pays.
C'est-à-dire ?
On a longtemps cru qu'en matière d'autisme on ne pouvait rien faire. Mais les choses ont changé depuis que la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu ses recommandations en mars 2012. Elle a préconisé d'utiliser des méthodes éducatives, cognitivo-comportementales et développementales. Dès le plus jeune âge de l'enfant, on lui apprend à communiquer à l'aide de jeux ou de pictogrammes. Ces méthodes nous viennent essentiellement des États-Unis et du Canada (A.B.A., T.E.A.C.C.H., P.E.C.S.). Jusqu'alors, les psychiatres d'obédience psychanalytique en charge de l'autisme attribuaient à la mère la responsabilité des troubles de leur enfant, alors qu'il est maintenant établi qu'il s'agit d'un trouble neuro-développemental.
Et que donnent ces méthodes dans les faits ?
Elles ne sont presque pas appliquées faute de formation des professionnels ! En clair, ces enfants ont des droits, on sait comment les aider, mais on les en prive. Les établissements en place ne se sont pas conformés à la recommandation de l'HAS et les instituts médico-éducatifs (IME) sont en nombre trop réduit pour accueillir tous les enfants. De plus, les interventions des personnes compétentes exerçant en libéral ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. C'est comme si on disait aux parents d'un enfant atteint d'un cancer que s'il veut faire de la chimiothérapie, il faut aller dans un pays qui la pratique et qui la prend en charge financièrement. De nombreuses familles sont donc livrées à elles-mêmes, faute de place au sein des établissements proposant des prises en charge adaptées. Les parents se forment à leurs frais, s'endettent, deviennent de véritables thérapeutes et assurent eux-mêmes une prise en charge de leur enfant, seule chance aujourd'hui de le voir évoluer favorablement. Il faut savoir que les deux tiers des parents supportent entre 40 % et 100 % du coût de l'accompagnement adapté de leur enfant ! Aujourd'hui, on pourrait vider un tiers des hôpitaux psychiatriques et faire des économies pour les reporter sur la prise en charge des enfants autistes. Ces enfants n'ont rien à faire en psychiatrie. Ce dont ils ont besoin, c'est plus de l'éducatif que de soins.
Sur quel fondement juridique repose l'action judiciaire que vous intentez ?
Sur deux jurisprudences du Conseil d'État qui ont condamné l'État à verser des indemnités à des enfants qui auraient dû être pris en charge dans des établissements adaptés. Il a jugé que l'État avait une obligation de résultat. La loi Chossy de 1996 garantit à toute personne autiste ou polyhandicapée une prise en charge spécifique et adaptée. Or les dix familles d'enfants de 5 à 15 ans que je représente ont été orientées vers des établissements médico-sociaux, mais, faute de place, leur enfant n'a pas été pris en charge.
Que demandez-vous en termes de préjudices ?
Je demande la réparation d'un préjudice moral, le fait que l'enfant ait perdu la chance d'avoir pu évoluer plus rapidement et favorablement. Je demande aussi un préjudice financier qui se traduit par la cessation d'activité des parents ou de l'un des deux, ou le remboursement de ce qu'ils ont payé pour permettre à leur enfant de bénéficier d'une prise en charge adaptée. Cela représente environ 100 000 à 200 000 euros par famille. L'une des deux familles qui a eu gain de cause devant le Conseil d'État avait obtenu environ 150 000 euros pour un an et demi de non-prise en charge.
Avez-vous identifié d'autres dysfonctionnements du système ?
Oui. Une loi du 4 mars 2002 garantit un droit au diagnostic que la HAS préconise de faire à l'âge de deux ans. Or, aujourd'hui, les enfants ne sont vraiment diagnostiqués qu'à l'âge de 6 ans, ce qui crée un retard préjudiciable dans leur prise en charge.
Autre chose, la loi dite "handicap" du 11 février 2005 garantit aux enfants handicapés une scolarisation adaptée en milieu ordinaire, et il est d'ailleurs prouvé que les enfants autistes en tirent grand bénéfice. Malheureusement, l'Éducation nationale est peu encline à les accueillir en son sein, car de nombreux professionnels de l'éducation considèrent encore qu'un enfant handicapé doit être orienté vers le secteur médico-social. Les parents sont donc souvent contraints d'assurer eux-mêmes l'éducation de leur enfant. Je rappelle que le Conseil de l'Europe a condamné la France à cinq reprises pour non-respect des obligations éducatives envers les personnes autistes !